“Dans l’histoire moderne de la pensée politique, la tradition dite « réaliste » s’oppose au libéralisme par l’accent mis sur les dynamiques du pouvoir aux dépens d’un souci pour le rôle de la morale dans la politique. Aujourd’hui on dit que le réalisme qui était au centre de la discipline universitaire américaine des Relations Internationales pendant la guerre froide a ses racines dans la pensée européenne de l’entre-deux-guerres et en particulier la théologie politique de Carl Schmitt. L’idée est que ce réalisme est réactionnaire au fond et que les mutations dans l’histoire du réalisme – du réalisme classique de Hans Morgenthau au réalisme structural de Kenneth Waltz – ne changent rien à ce trait. Il est évident que les questions concernant la sécularisation de la politique et le rôle de la normativité dans la pensée politique sont en jeu dans cette histoire des idées. Le point de départ de cette intervention est la comparaison que Waltz a établi dans ses œuvres de jeunesse entre la pensée politique d’Augustin et celle de Spinoza. En suivant le théologien américain Reinhold Niebuhr, qui a soutenu qu’Augustin avait été le premier réaliste politique, Waltz estime que les deux sont d’accord dans leur compréhension de la politique et de la psychologie humaine, tandis que l’un poursuit une route théologique et l’autre une route empirique. C’est un jugement ambigu. Mais il n’en reste pas moins que, hormis les proximités supposées de leur visions, leurs métaphysiques sont tout à fait incommensurables. Tout cela revient à poser la question de la possibilité d’un réalisme séculaire, c’est-à-dire la possibilité du spinozisme politique.” — KP.
Knox PEDEN est Gerry Higgins Lecturer in the History of Philosophy à l’Université de Melbourne. Il a publié Spinoza Contra Phenomenology : French Rationalism from Cavaillès to Deleuze (Stanford University Press, 2014), et il est auteur d’articles sur le spinozisme, l’histoire de la pensée française, et la théorie et la politique de l’historiographie.