"Dans les années soixante et soixante-dix du XXe siècle, Althusser, dans le cadre de son « retour à Marx », entreprend d’en expliciter la philosophie latente, et, conjointement, d’élaborer la théorie de l’idéologie (de sa nécessité et de son autonomie relative) qui manquait encore au marxisme. Ce retour à Marx est fortement marqué par le « retour à Freud », tel qu’il fut engagé par Lacan quelques années auparavant. Ainsi, Althusser déclare, dans « Idéologie et Appareils Idéologiques d’État » (1970), qu’il entend « proposer une théorie de l’idéologie en général, au sens où Freud a proposé une théorie de l’inconscient en général ». Toutefois, cette théorie de l’idéologie, qu’Althusser nomme également matérialisme de l’imaginaire (Éléments d’autocritique, 1974, ch. 4, « Sur Spinoza »), ne se constitue pas simplement à partir d’un retour à Marx redoublé d’un retour à Freud. Elle engage aussi un « détour par Spinoza » : la théorie spinoziste de l’imagination offre le premier modèle, pour Althusser, de ce matérialisme de l’imaginaire qu’il entend constituer à travers sa relecture de Marx. Nous nous interrogerons sur le statut de cet entrecroisement des lectures althussériennes de Freud et de Spinoza. Si la nécessité et la cohérence d’un tel entrecroisement sont manifestes, concernant en particulier la critique du psychologisme et plus généralement le rejet des « philosophies de la conscience », elles n’en laissent pas moins subsister un point aveugle, qui n’est autre que la question du sujet."
Pascale GILLOT, Membre du Centre de Philosophie Contemporaine de la Sorbonne (Paris 1), est une spécialiste reconnue des modèles de l’esprit et de la subjectivité, de la philosophie classique à la philosophie contemporaine. Elle a récemment publié : L’esprit. Figures classiques et contemporaines (Paris, CNRS Editions, 2007) ; Althusser et la psychanalyse (Paris, PUF, "Philosophies", 2009).