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Michel JUFFÉ : « Qu’est-ce que l’éthique ? » (Spinoza, Freud, etc.)

"La question de l’éthique traverse l’histoire de la philosophie et se pose aussi pour les juristes (cf. Christian Huglo : « l’éthique recommande, la morale commande, le droit contraint »), les anthropologues et les psychologues. Elle prend diverses allures selon que : 1) on est moniste ou dualiste ; 2) on admet ou non une transcendance (Dieu personnel, Humanité comme intelligence supérieure) ; 3) on la voit comme autorité (conseil) ou pouvoir (obligation). La position de Spinoza est « simple » : monisme, immanence, autorité (lumière naturelle). Elle implique que l’éthique n’est pas une série d’enchaînements logiques (psycho- ou phénoméno- ou onto-) mais une « élévation » ou augmentation de la puissance d’agir, obtenue par un passage du 1er au 3e genre de connaissance, lequel n’aboutit jamais à une position arrêtée ou en surplomb mais demande un effort continuel (persévérance). Comme, pour lui, n’existent que des corps affectants et affectés, cette connaissance est inséparablement amour de soi, des autres humains et des autres « choses » de la Nature. Son Ethique est un guide sur ce chemin et non une série de prescriptions (à moins qu’on tienne pour telle sa définition de la force d’âme : fermeté et générosité ; ou son digest de la Bible comme justice et charité). Nietzsche ajoutera (ou déformera, selon les points de vue) que la manière de « marcher » dépend de la complexion du corps ou des tempéraments. En ce sens il anticipe peut-être, au moins indirectement, le mouvement freudien, pour lequel la « libération » de l’âme (éthique) vient de la compréhension profonde (levée du refoulement, intelligence du transfert, réduction des clivages, etc.) des diverses « maladies » de l’âme que sont névroses, psychoses et perversions. Pour Freud, le sujet (le Moi) doit parvenir à « maîtriser » ses pulsions, les éduquer, de telle sorte qu’il agisse pour le bien de soi et d’autrui (sans qu’il y affecte des contenus particuliers). Néanmoins, d’un point de vue spinoziste, deux questions se posent : 1) Quel est cet inconscient qui serait une « autre réalité » (autre scène, etc.) ? 2) Que veut dire « pulsion de mort » ? Ces deux questions indiquent que la « libération » freudienne (qu’on peut aussi nommer « maturité sexuelle ») est foncièrement entravée (voire « empêchée », selon le terme de Paul Ricoeur), et connaît de sévères limites : personne ne peut y parvenir entièrement. Alors que pour Spinoza, la liberté du corps/esprit est difficile mais accessible à tous. Ceci peut déboucher sur une réflexion contemporaine étayée par l’association (on n’ose dire la synthèse) entre la théorie spinozienne et la pratique freudienne." MJ

Michel Juffé, philosophe, docteur d’État ès-lettres, a enseigné dans diverses universités (dont Paris 8-Vincennes et Marne-la-Vallée) et grandes écoles (ENPC, CNAM). Il écrit en particulier sur les relations entre psychanalyse et philosophie : Les fondements du lien social (PUF, 1995), La tragédie en héritage (ESHEL, 1999), Expériences de la perte (Cerisy, PUF, 2005), et une Correspondance,1676-1938, entre Freud et Spinoza (Gallimard, mars 2016). A paraître : Café-Spinoza (Le bord de l’eau, 2017)